Sur le Hijab Day et les aisselles

Le voile est un outil d’oppression des femmes. On est d’accord.

Il y a plein d’autres outils d’oppression des femme. Comme le maquillage, l’épilation, les talons hauts, la minceur, les vêtements sexualisants, la honte des règles, la douceur timide.

Oui, parce que si une femme est forcée, pour être considérée “décente”, “acceptable”, “féminine”, “à sa place”

  • d’être maquillée, ce qui coûte un bras et abîme la peau,
  • épilée, ce qui est une perte de temps et une auto-violence incroyables
  • mince, ce qui n’est juste pas accessible à tout le monde, pour cause de morphologie ou de “I do whatever the fuck I want”,
  • de porter des talons, qui déforment les pieds et le dos,
  • d’être habillée d’une façon qui la réduit à son sexe,
  • de cacher qu’elle a ses règles, même si, on est grands, on est tous au courant de comment ça marche maintenant,
  • et d’apparaître comme une petite chose fragile et toute douce,

C’est de l’oppression. On est d’accord !

Par contre, si une femme est montrée du doigt comme anti-féministe, cautionnant l’oppression, en régression totale par rapport aux acquis des féministes avant nous, pute consumériste ou je ne sais pas quoi d’autre

  • parce qu’elle se préfère avec du rouge et des smokey eyes,
  • parce qu’elle kiffe les aisselles lisses,
  • parce qu’elle en a un peu marre de son gras du ventre,
  • parce qu’elle se sent badass en talons de 12cm et en mini robe moulante,
  • parce qu’elle pense que ses règles ça ne regarde qu’elle,
  • ou parce qu’elle a pleuré en réunion quand on lui a parlé du chaton du patron qui est mort en virant sa meilleure copine

Il y a un problème. On est d’accord ?

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À quand la Barbie poilue ?

Je ne me voile pas, je ne m’épile pas, je ne me maquille pas, je ne porte pas de talons, j’adore les vêtements larges et confortables, j’ai choisi, après un long chemin, de ne pas me flageller à chaque fois que je vois mes bourrelets, je vante les mérites de ma coupe menstruelle à tout va et je fais des grosses blagues, bien crades, bien fort. Je ne pense pas que mon féminisme soit plus justifié, pour ces raisons-là, que celui de ma pote qui n’irait jamais à la muscul sans son mascara. Et de l’autre côté, je ne pense pas que ma sensibilité (juste un peu) exacerbée, mes occasionnelles tenues courtes ou décolletées et mon goût irrévocable pour les comédies romantiques fassent de moi un horrible relai de l’oppression patriarcale – je suis juste moi.

Alors qu’on ne soit pas d’accord avec l’image de la femme que transporte le voile, qu’on ne comprenne pas pourquoi une femme ferait le choix de cautionner cette image, je veux bien. C’est mon cas, et j’avoue que j’aimerais essayer de comprendre, et que j’ai des conversations à avoir. Je ne suis pas d’accord non plus avec l’image de la femme que transporte Voici*.

Il faut se battre pour qu’aucune femme ne soit forcée d’être voilée, c’est sûr. Pour qu’il y ait une réelle possibilité pour chacun(e) de saisir que le corps n’est pas une source de honte et que le regard sexualisant doit être adressé par l’éducation de ceux qui portent le regard, au lieu d’être mis à la charge de celles sur qui le regard est porté. Mais il faut aussi qu’une femme dont c’est le choix de porter le voile ne soit pas réduite à cet aspect d’elle et taxée d’extrémisme-anti-féministe-blablabla. Qu’on lui foute la paix, tout simplement.

La lutte féministe n’a pas pour but qu’on colle toutes à une image pré-définie de la Femme Libérée, mais qu’on soit TOUS libres d’exprimer nos individualités, de femmes ou autres, comme il est juste pour nous. On ne peut pas être opprimé(e)s par l’oppression ET par la contre-oppression, ça fait beaucoup, au bout d’un moment !

Il me semble qu’un Hijab Day est une façon d’exprimer ça, de dire “vous vous épilez, on se voile”. On s’est chacune approprié un aspect de la culture patriarcale qui nous suinte de partout depuis toujours pour la faire nôtre et y mettre notre sens, et on s’aime comme ça, ça fait partie de nous. Now can we please move on?

Autant je rêve d’un monde où on pourra être poilues sans être jugées dégueulasses, autant si un jour la norme est d’être poilues et que les non-poilues-par-choix sont regardées de travers toute la journée, moins employables, etc., j’espère qu’il y aura un Neat Armpit Day à Sciences Po et que ça fera réfléchir certains. Je ne garantis pas que je m’épilerais par solidarité, mais j’écrirais sûrement un article, et puis peut-être, peut-être juste une aisselle.

 

 

*Je n’ai pas vérifié si Voici est un vrai nom de magazine people. Si ce n’est pas le cas, vous aurez la preuve de mon manque de culture éhonté dans ce genre de littérature.

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